Un article du pasteur Nicolas Farelly

Il est rare de mettre Bible et imaginaire côte à côte. Pourtant, le lien les unissant est profond… et surprenant.

Oui, Bible et imaginaire cheminent ensemble, inextricablement. Tout d’abord parce que la Bible est une œuvre littéraire, et une œuvre littéraire considérable !

Une œuvre d’art

La Bible ne nous est pas parvenue sous forme de propositions abstraites, de doctrines énumérées et systématisées. Au contraire, elle a été écrite sous forme de prose, de récits, de psaumes, de prophéties, de lettres… Plus encore, la Bible est elle-même un grand récit dont le protagoniste est le Dieu créateur, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Elle nous conte sa relation avec les humains, ses desseins pour son peuple et sa création tout entière. La Bible, sans aucun doute, est une œuvre d’art formidable. Or, fondamentalement, une œuvre d’art est une œuvre imaginée, le produit de l’imagination de son ou ses créateurs. L’imagination est l’ingrédient indispensable à toute œuvre artistique ou littéraire. Elle donne forme à la pensée, elle est force créatrice. En cela, l’imagination est probablement la faculté humaine la plus proche de la puissance créatrice de Dieu. Dieu n’a-t-il pas lui-même fait preuve de la plus extraordinaire imagination lorsqu’il a créé tout ce qui existe ? Lorsqu’il a formé, après l’avoir pensé, le monde et tout ce qui s’y trouve : océans, montagnes, flore et faune innombrables, et, joyaux de son “œuvre”, hommes et femmes ? Ainsi, l’imagination des humains ne serait-elle pas créée à l’image de l’imagination de Dieu ?

Présence de l’imaginaire

Mais la Bible, au-delà de l’imagination nécessaire à la créativité, sait aussi faire preuve d’imaginaire dans son contenu. Salomon propose ses rêveries érotiques dans le Cantique des Cantiques. L’apôtre Jean utilise des images fantastiques dans sa vision prophétique du livre

de l’Apocalypse. Bien sûr, les évangiles relatent comment Jésus lui-même enseignait en paraboles, produits de son imagination. De plus, très couramment, toutes sortes d’images sont offertes par les auteurs bibliques pour se référer à Dieu : Dieu a un doigt, une main, c’est un aigle, une poule… Sans aucun doute, ces auteurs ont su faire preuve d’imagination pour parler de Dieu, pour décrire l’indescriptible.

Lire l’imaginaire biblique

De telles considérations, la Bible comme œuvre imaginée et parfois imaginante, peuvent, nul doute, mettre certains évangéliques mal à l’aise. Ceux-ci, se voulant respectueux des écritures saintes, ont parfois tendance à en faire une lecture trop littéraliste, les poussant à prendre tout ce qui est écrit à la lettre. Mais une telle lecture n’est souvent qu’une réponse excessive à d’autres excès, par exemple, celui qui revendique que l’archéologie conteste quasiment tous les fondements historiques de nombreux récits bibliques, ne faisant de la révélation biblique qu’une saga imaginaire et affabulatrice.

À ce sujet, mentionnons que cette tendance n’est pas nouvelle. Au IVesiècle en Syrie, la secte des “anthropomorphistes” réagissait contre des lectures trop allégorisantes des Écritures en attribuant à Dieu un corps, des mains, des yeux, etc. Cette secte eut d’ailleurs une influence non négligeable, puisqu’elle est mentionnée par Voltaire et Calvin dans leurs écrits respectifs.

Malheureusement, de telles lectures littéralistes, si elles sont bien intentionnées, n’en demeurent pas moins simplistes. Le danger est bien évidemment de passer à côté des intentions et du sens du texte. Or, comment comprendre un texte sans en respecter sa forme ou son genre ?

Imaginaire… et vérité ?

Quand la Bible met en avant l’imagination de ses auteurs, c’est pour mieux communiquer une vérité. Décrire Dieu comme ayant des oreilles, c’est affirmer qu’il entend les prières ou les lamentations de son peuple, mais en bonifiant le sens. De même, dire qu’il a une main, c’est exprimer qu’il sait agir pour le délivrer, mais en invitant du même coup ce peuple à saisir la main divine. Nul besoin non plus d’interpréter certains passages de l’Apocalypse de Jean littéralement. Voulant décrire le conflit cosmique entre Dieu et les forces du mal, l’au- teur utilise des catégories de l’ordre du symbolisme (voir Apocalypse 12.7 et son fameux dragon). Si nous essayions d’interpréter ces visions comme si nous étions face à de la prose littérale, nous arriverions à des impasses.

Ainsi, dire que des auteurs bibliques font preuve d’imaginaire ne signifie pas qu’ils sont tombés dans l’irréel, ou dans le faux. Tout comme une œuvre de fiction peut communiquer des vérités importantes, la Bible prend parfois le parti d’imaginer pour mieux communiquer son message libérateur. Quand c’est le cas, la signification profonde d’un texte dépend de la profondeur de l’écoute, de la faculté du lecteur à se laisser transporter par l’imaginaire biblique pour mieux recevoir la révélation divine.

La Bible qui libère l’imagination

Un autre aspect du lien entre Bible et imaginaire est que la Bible encourage, justement, l’imaginaire. Confronté au texte, l’imaginaire des lecteurs est activé, revitalisé, transformé. Des prophètes de l’Ancien Testament aux apôtres, tous encourageaient cette faculté nécessaire pour demeurer fidèles à Dieu.

Prenons un exemple concret. Au premier siècle, l’empire Romain avait réussi à capturer l’imagination de la population à travers une campagne de propagande très bien menée, basée sur le mythe de la pax romana (la paix romaine). Partout dans l’empire se trouvaient des statues et toutes sortes d’objets en l’honneur de César, pour rappeler à tous qu’il était leur bienfaiteur et qu’il méritait leur allégeance. C’est lui qui avait ramené la paix dans l’empire, c’est grâce à lui que l’empire était prospère, qu’il grandissait et portait du fruit. Partout, on rappelait donc au peuple le mythe de la pax romana, si bien que les gens ne savaient plus com- ment penser autrement. L’empire avait capturé leur imagination.

Face à cette situation, le but de Paul dans son épître aux Colossiens était de proclamer un récit, ô combien subversif, celui de la victoire de Christ sur les puissances et son désir de tout réconcilier avec lui-même dans sa création. Pour Paul, la vraie bonne nouvelle n’était pas celle de la seigneurie de César, mais celle de Christ. C’est celle-ci qui portait du fruit dans le monde entier. Là où l’empire encourageait le statut quo social (en gros, l’exploitation des faibles par les forts), l’Évangile bouleversait les relations au sein du couple et de la famille, il appelait à la justice envers les esclaves, à l’amour, l’humilité, la douceur, la patience… En proclamant l’Évangile, Paul voulait libérer l’imagination de ses destinataires. Un monde meilleur était à leur portée, mais il fallait pour cela que l’Évangile œuvre en et à travers eux.

Imaginer un monde nouveau

Un monde nouveau n’est-il pas toujours à notre portée ? Saurons-nous laisser le message biblique, imaginé et imaginant, libérer notre propre imagination, celle-là même qui a tant de mal à se défaire de l’emprise du consumérisme, du sexisme, du matérialisme, du racisme, du perfectionnisme, de la violence ?

Les paraboles de Jésus

Le grand théologien C. H. Dodd disait : “Dans son état le plus simple, la parabole est une métaphore ou une comparaison tirée de la nature ou de la vie courante, qui frappe l’auditeur par son caractère vivant ou étrange, et dont l’application exacte sème dans l’esprit un doute suffisant pour inciter à une pensée personnelle”.

Les paraboles de Jésus avaient évidemment une fonction pédagogique : il voulait que son message soit entendu et compris. Mais plus encore, Jésus utilisait également les paraboles pour leur capacité intrinsèque à inviter, à attirer les auditeurs à participer activement dans l’histoire et son message. A. Djaballah dira : “la parabole aménage une ‘contribution’ de l’auditeur : il doit nécessairement s’impliquer pour que le sens se produise”. Ainsi, à partir de son imagination, et de son don particulier à communiquer un enseignement à travers les paraboles, Jésus invite ses auditeurs, et nous-mêmes, à participer au récit conté, à nous imaginer au sein même du récit. Notre propre imagination est donc éclairée pour une bonne réception de l’enseignement donné.