1- Dans la période de crise et/ou traumatisme comme celle que nous traversons actuellement avec le COVID-19, on parle souvent de résilience. Pourriez-vous nous donner une définition de ce mot résilience ? En quoi et pourquoi réagissons-nous différemment face aux difficultés. Y-a-t-il des individus qui le sont plus que d’autres ?
La résilience est un concept transdisciplinaire qui s’appuie à la fois sur : la psychologie, la sociologie, l’éthologie et la médecine. Elle désigne en somme une aptitude, une capacité à revivre, à rebondir, à se reconstruire après un traumatisme. Ce concept s’intéresse donc :
- Au développement normal dans des conditions difficiles.
- Au processus par lequel un individu interagit avec son environnement pour produire une évolution donnée.
- La résilience interroge aussi la capacité de réussir une insertion dans la société en dépit de l’adversité qui comporte le risque grave d’une issue négative.
- Et finalement elle se réfère à une adaptation exceptionnelle malgré l’exposition à des stress significatifs.
Chacun de nous réagit différemment face à une difficulté (ou face à un traumatisme). Cela va dépendre à la fois de son histoire personnelle, de son éducation et de son contexte social, religieux etc. Quelqu’un qui aura grandi dans un cadre sécurisant, valorisant et aimant aura probablement pu acquérir une plus grande capacité à faire face à des difficultés que quelqu’un, qui, dès son jeune âge a dû « se battre » pour exister.
C’est en gros la question suivante : cette difficulté me menace-t-elle ? – ou au vu de la situation, comment puis-je faire face ? Comment je me positionne naturellement face à une situation qui me dépasse : Est-ce que je la subis, un peu comme quelque chose qui me « tombe dessus » ? La situation prend-elle le dessus, ou au contraire est ce que j’arrive (ensuite) à rester sujet pour devenir acteur ? Dans ce cas-là j’arrive à en faire quelque chose.
Nous voyons bien que la capacité pour développer une réponse de résilience va dépendre de différentes variables internes qui sont propres à chaque individu (structure psychique, personnalité, mécanismes défensifs…) mais aussi des variables externes comme l’environnement socioaffectif.
Les facteurs (avant traumatisme) qui permettent de développer tout au long de sa vie une résilience, permettant de rebondir malgré la souffrance vécue, sont nombreux. Je peux en citer quelques-uns :
- une enfance qui a permis l’acquisition de facteurs de protection
- une famille sécurisante
- une capacité à verbaliser
- un sens de la relation
- la construction d’une bonne estime de soi
Il y a en a d’autres bien sûr, mais je dirais que ce sont surtout ces facteurs-là. Un autre facteur qui joue un rôle important, surtout pour le croyant, est sa foi. Boris Cyrulnik parle dans son livre : « La psychothérapie de Dieu » de l’importance capitale que peut avoir la foi pour le croyant dans un moment traumatisant et surtout dans la phase de « guérison ».
2- En quoi et pourquoi la résilience peut-elle nous aider dans les périodes de grand stress ?
Avec le confinement, le risque est d’être confronté à des troubles anxieux. Tout d’abord parce que la maladie du COVID-19 fait peser une menace pour notre vie. Ensuite, parce que le confinement met à mal le lien social, très important pour chacun d’entre nous. Cette perte de repères risque de faire émerger pour certains une anxiété, mais aussi de provoquer l’apparition de troubles de l’humeur, de dépression, on a du mal à dormir, on devient plus vite irritable. Ce que nous vivons actuellement en France (et ailleurs) est un traumatisme collectif et il faut accroitre nos facteurs de protection.
Pour se préserver du COVID-19 il existe des actions simples, ces fameux “gestes barrières” : se laver les mains, ne pas sortir, etc.
Mais certains parmi nous sont plus forts et d’autres plus vulnérables pour pouvoir passer ce cap. Ceux qui ont une famille, une maison, un jardin pour sortir, un réseau affectif et ceux qui ont la capacité de préserver des liens sociaux par téléphone, traverseront probablement cette crise sans trop y laisser de plumes.
Mais qu’en est-t-il des célibataires, veufs, divorcés, des personnes seules qui vivent dans des appartements de 30 m2 (ou beaucoup moins) ou ceux qui souffrent de précarité sociale, de retards de langage, de troubles de la socialisation, de troubles psychotiques ? Qu’en est-t-il des familles qui ont perdu un proche sans avoir pu lui dire un « au revoir » ?
Quand ce sera terminé, alors seulement, le processus de résilience commencera. Et on retrouvera alors tout le sens de cette notion de résilience : comment reprendre un nouveau départ après le fracas traumatique ? (B. Cyrulnik)
Ce qui, dans une situation traumatique et difficile, va permettre une élaboration de la résilience repose sur deux facteurs :
- Trouver un soutien (sans failles) auprès des personnes les plus proches
Si la personne trouve une écoute et une compréhension de ses émotions comme la peur, l’angoisse, le doute etc. sans être jugée alors ce processus se mettra plus facilement en place.
- Donner un sens à ce qui se passe
Je peux lire sur les réseaux sociaux actuellement un grand nombre d’interrogations apparaître. Et les croyants aussi ont des interrogations : Que Dieu veut-il nous dire ? Que dit la Bible sur le Coronavirus ?…
Donner du sens à ce qui (m’) arrive est un besoin et un facteur de résilience. Peu importe la véracité scientifique de la réponse donnée. On a besoin de comprendre le pourquoi. Ce qui fait souffrance chez la plupart de personnes est l’absence de réponse. Ce vide a toujours fait peur. Que ce soit dans les Psaumes ou les Lamentations, dans la Bible le plaignant se tournait vers Dieu, attendant à ce que dans ce mouvement intérieur vertical, Dieu lui réponde, lui donne un sens à sa souffrance.
3- Il semble possible de pouvoir développer sa résilience. Parmi les facteurs bénéfiques au développement de la résilience sont cités la pratique d’une religion, mais il y a aussi des facteurs psychologiques, émotionnelles, etc. Pourriez-vous nous en parler ?
Ce que l’on appelle « résilience » n’est pas un trait de caractère que l’on peut changer aussi facilement. La capacité d’affronter la vie avec une certaine résilience est en partie influencée par notre histoire personnelle, mais un autre déterminant est la génétique que nous ne pouvons influencer. Mais malgré ces éléments que l’on ne peut pas si facilement influencer, nous pouvons apprendre à nous connecter davantage à nos émotions, apprendre à les verbaliser. Car quand je peux dire ce qui m’arrive, ce que je ressens, j’ai déjà franchi un cap important.
Pour revenir au rôle que peut jouer la croyance, la foi d’une personne : un sujet qui arrive à trouver auprès de ses pairs (familles ou communauté) un soutien important, une écoute bienveillante et sans jugement, qui va trouver du réconfort dans la méditation d’une parole biblique (par exemple) sera plus à même de faire face à l’adversité et ensuite la dépasser et rebondir.
Dans ce temps qui bouscule nos habitudes, nos sécurités affectives et matérielles il sera sans doute très important que, dans nos communautés, nous fassions particulièrement attention aux personnes qui nous entourent. Ce n’est pas parce qu’on a une famille autour de soi que l’on est bien. Et je crois que le les valeurs chrétiennes de sacrifice et d’amour du prochain prennent ici tout leur sens.
Sources :
- Anaut, Marie. « Le concept de résilience et ses applications cliniques », Recherche en soins infirmiers, vol. 82, no. 3, 2005, pp. 4-11.
- Boris Cyrulnik, La psychothérapie de Dieu, éditions Odile Jacob • Cyrulnik, B. (2004). Parler d’amour au bord du gouffre. Paris : Odile Jacob.
- Rutter, M. (1990). Psychosocial resilience and protective mechanisms. In J. Rolf & A. Master, Risk and Protective Factors, in the Development of Psychopatholy. New York : Cambridge University Press.
- Lemay, M. (1999). Réflexions sur la résilience. In M-P. Poilpot et al. Souffrir mais se construire. Ramonville Saint-Agne : Fondation pour l’Enfance, Erès.