La tragédie des violences conjugales dans les milieux chrétiens : questions à l’apôtre Paul
Valérie DUVAL-POUJOL
Si Jésus a clairement refusé la violence envers les femmes et la structure hiérarchique abusive dans le couple, comment alors certains s’appuient-ils sur des textes bibliques pour légitimer le recours à la violence envers leur partenaire ? Ils invoquent dans ce sens des textes de l’apôtre Paul. Mais on remarque que les abuseurs brandissent toujours ces textes en les arrachant à leur contexte ! Alors que Paul, le plus souvent, répond de façon circonstanciée à des situations locales précises…
Ces textes doivent être étudiés de plus près en vue de déconstruire les fausses croyances que leur interprétation erronée a nourries, et de supprimer un certain nombre de « mâle-entendus ».
Sans être exhaustif[1], examinons plusieurs passages emblématiques.
1. Paul n’enseigne-t-il pas que l’homme est le chef de la femme ?
En 1 Corinthiens 11,3-12[2], Paul n’établit ni une hiérarchie permanente ni un rapport d’autorité ; il évoque des questions d’honneur, de ce qui est convenable par rapport aux coutumes de son époque. Il montre quelles devraient être les relations entre l’homme et la femme qu’il place tous deux sous la bonne garde du Christ.
Relevons plusieurs éléments[3].
- La fin du raisonnement de Paul est capitale et il l’introduit par un « Cependant » (v.11). Or Paul emploie cinq fois ce mot grec dans ses écrits pour clore et souligner ce qui est réellement essentiel (Ep 5,33 ; Ph 1,18 ; 3,16 ; 4,14 ; 1 Co 11,11). Ici au v.11, ce sur quoi il insiste, c’est que « en Christ », devant le Seigneur, un nouveau schéma égalitaire de réciprocité et d’interdépendance voit le jour : « la femme est inséparable de l’homme et l’homme de la femme » ou « ni la femme n’est sans l’homme, ni l’homme sans la femme ».
- Le mot kephalé traduit par « chef/tête », désigne certes la partie supérieure du corps humain, mais il revêt le sens non de supérieur, mais de provenance, d’origine, de source[4]. On pourrait traduire « source de vie », porteur de vie, et Paul déploie un argumentaire chronologique inversé et non hiérarchique. En effet, Paul évoque successivement l’homme/le Christ, la femme/l’homme, le Christ/Dieu et il n’écrit pas : Dieu est le chef de Christ, Christ est le chef de l’homme et l’homme est le chef de la femme, ce qui aurait été hiérarchique.
« La dualité tête-corps n’exprime donc pas un rapport d’autorité, mais une relation de réciprocité. Parce que Christ est la source de la vie de l’Église, qu’il lui donne existence, en retour l’Église sert avec amour, dans une profonde dépendance à celui qu’elle reconnaît comme source de sa vie. De même parce que l’homme, source de l’existence de la femme (Genèse) a été utilisé à l’origine pour donner la vie à la femme, et parce qu’il continue de l’aimer comme son propre corps en se donnant lui-même pour elle dans le mariage, en retour l’épouse chrétienne s’attache à son mari en une relation semblable qui exprime leur unité. Introduire de force un rapport d’autorité dans cette harmonie d’heureuse réciprocité serait paganiser le mariage et fausser le caractère de modèle de la relation Christ/Église pour le mari et la femme[5]. »
2. Paul n’enseigne-t-il pas qu’une femme doit être soumise à son mari ?
Ephésiens 5,21-30[6] est le texte le plus utilisé pour justifier la soumission absolue de l’épouse à son conjoint, même violent.
Remarquons d’abord comment certaines traductions de la Bible ont opéré un découpage subjectif de ce passage. Dans les plus anciens manuscrits grecs du Nouveau Testament, il n’y a ni verset, ni chapitre, ni titre, ni ponctuation. Ce sont donc les traducteurs ou éditeurs bibliques qui décident comment découper, numéroter, ponctuer le texte. Ici beaucoup d’éditeurs choisissent de séparer par un point les versets 21 et 22 ; en outre ils ajoutent un verbe absent du texte grec original (femmes soyez soumises)[7]et également un titre : « Les devoirs de l’épouse ». Quel effet cela produit-il ? Cela met l’accent sur le v.22, bien plus que sur le v.21, qui parle de soumission réciproque, ou que sur le v.23 qui dit que cette soumission se comprend par comparaison avec la relation au Seigneur, et que c’est « dans le Seigneur » que les relations sont évaluées.
Quant au verbe upotasso traduit par « soumettre » au v.21, il n’est pas employé dans un contexte autoritaire. Paul aurait pu choisir d’autres mots plus clairs qui existent en grec. Or il emploie un verbe qui désigne une démarche volontaire, dans l’amour, qui peut se comprendre, comme « être fidèle, être un appui » et qui exprime la volonté de porter les fardeaux les uns des autres[8]. La soumission mutuelle gomme les différences hiérarchiques, seuls des égaux se soumettent les uns aux autres. Il est donc impératif de lire le v.22 à la lumière du v.21 qui conditionne tout le paragraphe : il s’agit d’une soumission mutuelle. Elle est demandée à l’épouse, et plus largement aux uns envers les autres.
Il est fondamental de relever qu’il n’est pas demandé au mari de soumettre sa femme, mais de l’aimer du même amour qui lie le Christ à l’Église. Lorsque le Christ est présenté comme modèle au mari, ce n’est pas son pouvoir, sa seigneurie, son autorité que le mari est invité à imiter, mais son humilité, son abnégation et son attitude de serviteur. De même, aucun époux ne doit dédaigner sa femme qui est son alter ego, sa propre chair. Dévaloriser, humilier ou asservir son épouse serait désavouer le principe de soumission mutuelle.
Le message essentiel du passage apparaît aux v28-30 : « Les maris doivent donc aimer leur femme comme ils aiment leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. En effet, personne n’a jamais haï son propre corps ; au contraire, on le nourrit et on en prend soin, comme le Christ le fait pour l’Église, son corps, dont nous sommes membres. »
Voilà la question que nous pose ce texte : le lien qui unit le mari à sa femme ressemble-t-il à celui qui unit Christ à l’Eglise ? Et de fait, quelle relation le Christ a-t-il avec l’Eglise ? Une relation de don, de protection, d’exclusivité et non de violence, d’humiliation, de terreur ! Pour Paul, il n’est pas du tout question de légitimer l’amour du pouvoir d’un mari mais bien plutôt de proclamer le pouvoir de l’amour entre conjoints[9].
Comme le souligne Elisabeth Parmentier, Paul souhaitait mettre en évidence la qualité de l’amour du Christ pour les siens, or ce passage a finalement servi à absolutiser un modèle hiérarchique du couple et à légitimer théologiquement la mise sous tutelle de la femme[10]. Pourtant, la pointe de Paul dans ce passage est révolutionnaire, contraire à ce que la culture imposait (impose encore trop souvent !) : Paul proclame la réciprocité pour gérer les relations maris/femmes, dans la soumission l’un à l’autre, « dans le Seigneur ». Cela reflète l’absolue radicalité de l’Evangile : toutes les relations humaines sont à repenser à partir de l’amour de Dieu.
L’époux comme l’épouse sont membres du corps du Christ, tous deux du même côté, celui de l’Église soumise au Christ qui en est la tête. Le Christ est uni à l’Église (rassemblant l’humanité tout entière) et l’Église au Christ. Le verset de Genèse 2,24 est donc appliqué aux relations du Christ et de l’Église, mais l’auteur montre aussi que cette relation intime et vraie est semblable aux relations des époux telles que Dieu les a voulues. Ainsi le couple humain devient-il le modèle, l’ébauche et la mise en route du projet final de Dieu pour l’humanité-Église, épouse du Christ.
Ce passage met l’accent sur le don de soi demandé à chacun. Le mari doit aimer sa femme comme le Christ (v.25) et comme son propre corps (v.28). Son autorité, comme celle de Christ, tient tout entière dans le don, suscité par l’amour, qu’il fait de lui-même.
3. Paul n’enseigne-t-il pas le principe du « devoir conjugal » en matière de sexualité ?
1 Corinthiens 7,1-5[11] a malheureusement été parfois utilisé pour légitimer « le devoir conjugal » et empêcher la femme de se refuser à son mari, ce qui peut conduire au viol conjugal et ce, dès la première nuit.
Or ce qui est saisissant, c’est la parfaite symétrie développée par Paul autour de six membres de phrase strictement parallèles :
Littéralement :
v2 Que chacun ait sa propre femme
Et que chacune ait son propre mari
v3 à la femme que le mari donne son dû
Et aussi pareillement la femme au mari
v4 la femme ne dispose pas de son propre corps
mais le mari
et aussi pareillement le mari ne dispose pas de son propre corps,
mais la femme
Cette parfaite symétrie montre que lors des rapports sexuels, aucun des conjoints ne peut instrumentaliser (= considérer comme un instrument) l’autre[12]. Les époux, dans le domaine de la sexualité, sont invités à s’engager dans un projet commun, basé sur une relation de réciprocité : aucun ne peut décider tout seul de la conduite à adopter mais il doit tenir compte de l’autre. Et cette réciprocité, révolutionnaire pour l’époque, garde toute son actualité : il n’y a aucune notion de « devoir conjugal », la pression d’un époux sur son/sa partenaire ne peut être légitimé par ce texte.
Au v.4, le verbe exousiazo (traduit ici « faire ce qu’il/elle veut ») signifie exercer de l’autorité sur quelqu’un. C’est le seul passage du Nouveau Testament où un verbe en lien avec l’autorité est employé à propos des relations entre le mari et l’épouse, et c’est pour dire que les deux conjoints ont les mêmes droits, chacun sur le corps de l’autre. Or il s’agit là du domaine du couple le plus intime, le plus personnel, le lieu par excellence de l’union d’une femme et d’un homme, et le Nouveau Testament enseigne que les deux ont les mêmes droits de contrôle sur leurs relations intimes, une autorité conjointe.
Comment comprendre dans ce passage l’encouragement de Paul à ne pas se priver ? Certains Corinthiens rejetaient sans doute toute relation sexuelle, même dans le mariage, parce qu’ils comprenaient mal la pertinence du corps dans le salut (voir 1 Tim 4,3 sur les faux docteurs qui « interdiront le mariage »). Influencés par un dualisme grec qui méprisait le corps, ils pensaient devoir s’abstenir de toute sexualité, même une fois mariés, afin d’être spirituels. D’où ce qu’ils disent à Paul : « Il est bon pour un homme de ne pas se marier/de ne pas toucher de femme. » Paul est ferme : en enseignant de « ne pas se priver », il rappelle que dans le mariage, les relations sexuelles consenties sont légitimes. Il dissocie de fait sexualité et procréation, et permet de faire rimer sexualité avec récréation : il montre ainsi que l’amour conjugal a sa beauté en soi.
4. Est-il possible de conseiller le divorce à une épouse chrétienne qui subit des violences de la part de son mari ?
De nombreuses épouses violentées n’osent pas s’enfuir, convaincues qu’une bonne chrétienne, « ça ne divorce pas ».
Dans les Évangiles, Jésus rappelle toute la valeur du mariage lorsqu’il déclare « que personne ne sépare ce que Dieu a uni », rappelant que le divorce ne peut être banalisé. Et en même temps, il introduit une clause importante, « sauf en cas de porneia » :
Mt 5,32 et Mt 9,19
« Eh bien, moi je vous déclare : tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas de débauche [porneia], l’expose à devenir adultère ; et celui qui épouse une femme renvoyée commet un adultère. »
Par cette clause, Jésus introduit une possibilité, une permission au divorce avec un terme particulier en grec : s’il y a porneia. Si Jésus avait choisi un terme très précis, nous nous serions sentis autorisés de dire quand permettre un divorce ou pas. Or Jésus choisit un terme très large désignant toute forme d’inconduite sexuelle : autant des rapports sexuels illicites (en référence aux interdits qu’on trouve dans les lois bibliques comme l’inceste) ; la prostitution ; la débauche ; l’adultère, tout dérèglement sexuel… et même, métaphoriquement, l’idolâtrie (cf. Apoc 17,2,4 ; 18,3). Bref, c’est un terme bien plus large que l’adultère (il y a d’ailleurs un autre terme grec pour « adultère », moikeuo, qui n’est pas employé ici).
L’étonnant, c’est que Paul, confronté à une autre situation, introduit une autre clause de poids : « Cependant, si celui qui n’est pas croyant veut se séparer de son conjoint chrétien, qu’on le laisse agir ainsi. Dans un tel cas le conjoint chrétien, que ce soit l’époux ou l’épouse, est libre, car Dieu vous a appelés à vivre en paix. » (1 Cor 7,15)
À l’autorisation par Jésus du divorce en cas de porneia, Paul ajoute l’autorisation en cas de séparation, d’abandon du conjoint non croyant. Or ce cas n’est pas du tout un cas de porneia ! C’est donc par analogie que Paul interprète les paroles de Jésus : il les reprend dans leur principe et non à la lettre et il adapte le principe à la situation d’une femme convertie au Christ, dont l’époux est incroyant.
Ces deux clauses indiquent que les chrétiens d’aujourd’hui peuvent agir comme Paul par rapport à Jésus, à savoir par analogie : accepter qu’il y ait d’autres situations possibles légitimant un divorce, comme par exemple la violence conjugale, l’inceste…[13]
« Si le mariage peut se définir suivant les trois axes essentiels de Genèse 2,24 (quitter, s’attacher, devenir, verbes repris par Jésus), le refus avéré, durable et irréversible de l’un ou plusieurs d’entre eux peut être considéré comme une remise en question de l’union conjugale, et peut être un motif de divorce. »[14]
Cela ne signifie pas que le divorce soit pris à la légère, mais ces clauses importantes rappellent que le mariage n’est pas un absolu, une entité au-dessus de toute autre : le divorce est bien à mettre en œuvre dans certains cas. De même que « le sabbat est fait pour l’être humain et non l’être humain pour le sabbat » (Marc 2,27), de même le mariage n’est pas une fin en soi, un enfermement à vie[15].
Si le conjoint refuse de renoncer à la violence, à l’emprise et s’il ne manifeste pas de véritable repentance, de changement radical, alors le lien les unissant n’est plus un lien de mariage tel que Dieu le veut. La séparation, le divorce et éventuellement le remariage deviennent une voie possible, légitime.
Cela rappelle cette affirmation souvent lancée aux jeunes mariés le jour de leurs noces : « C’est pour la vie ». Comment comprendre cette phrase ? « Pour la vie » dans un sens chronologique, dans la durée, jusqu’à ce que mort s’en suive (mort physique ou mort psychique), ou « pour la vie », c’est-à-dire pour que le couple vive, et que chaque partenaire soit bien vivant ?
5. Le fait d’envisager le divorce n’obligerait-il pas cette épouse à cacher la vérité à son mari violent, et donc à vivre dans le mensonge ?
Certaines épouses chrétiennes culpabilisent lorsqu’elles doivent dissimuler certaines choses à leur conjoint violent, afin de se protéger, elle ou leurs enfants et/ou en vue de préparer leur départ, ou de rester à distance une fois séparés. Une demi-vérité n’est pas un mensonge ni même un demi-mensonge, il n’y a aucune injonction à devoir toujours tout dire.
Il est intéressant de se rappeler plusieurs récits bibliques où des personnes ont « menti », ont dit des demi-vérités sans être blâmées et furent même, dans certaines circonstances, félicitées par Dieu[16].
Ainsi les sages-femmes à l’époque de Moïse ont menti au Pharaon pour ne pas avoir à tuer les nouveau-nés hébreux, et elles sont bénies par Dieu (Ex 1,15-21). De même le prophète Samuel prétend qu’il va faire un sacrifice, alors qu’en réalité, il va oindre David comme nouveau roi, à la place de Saül (1 Sam 16,2) ; David se fait passer pour fou afin de sauver sa vie (1 Sam 21,14) ; Elisée permet au général Naaman de se prosterner devant un faux dieu (2 Rois 5,18-19) et il conseille au serviteur du roi d’Aram qui vient l’interroger à propos de la santé de son souverain de mentir à celui-ci : « Élisée répondit : « Va lui dire : “Tu vivras sûrement !” Mais en réalité, le Seigneur m’a révélé qu’il allait mourir”. » (2 Rois 8,10)
Et même Jésus ne dit qu’une demi-vérité à ses propres frères qui ne sont alors pas encore croyants. En effet il leur dit qu’il n’ira pas à la fête (il ne veut pas y aller comme eux veulent qu’il y aille, en se faisant remarquer), puis il s’y rendit (« en secret ») : « La fête juive des Tentes était proche. Les frères de Jésus lui dirent : “Pars d’ici et va en Judée, afin que tes disciples, eux aussi, voient les œuvres que tu fais.” (…) Jésus leur dit : “(…) Allez à la fête, vous. Moi, je ne vais pas à cette fête, parce que le moment n’est pas encore venu pour moi.” Après avoir dit cela, il resta en Galilée. Mais quand ses frères se furent rendus à la fête, Jésus y alla aussi, non pas ouvertement mais en secret. » (Jean 7)
Puisque Jésus n’a commis aucun péché, ce « pieux mensonge » qu’il réalise ici envers ses frères indique que la vérité est parfois soumise à des impératifs plus élevés qui autorise les demi-vérités. Les femmes victimes de violence conjugale doivent placer leur sécurité et celle de leurs enfants au sommet de toute priorité, sans avoir à se justifier par des déclarations exhaustives et détaillées de tout ce qu’elles font.
Conclusion
Nous devons nous sentir concernés par la souffrance des victimes de violence conjugale, en particulier celle qui est assise à côté de moi au culte, ses enfants terrorisés par un père violent. Nous ne pouvons plus nous taire ! Nous devons dénoncer cette violence sous toutes ses formes, conformément à cette tradition forte dans toutes les Écritures de dénonciation du mal, de l’injustice, personnelle ou collective (Es 5,20). Ce sont nos sœurs, nos filles, nos amies, nos voisines ou collègues qui sont concernées… agissons avant qu’il ne soit trop tard pour elles.
Et la clarification de ce que les textes bibliques enseignent, la déconstruction des fausses croyances font partie de ce travail de prévention, de dénonciation.
Prenons un exemple de ces fausses croyances encore vivaces dans un autre domaine que le théologique : le biologique et l’origine de la vie. On nous a appris que le début de notre existence est une compétition féroce : pendant longtemps on a cru que c’est le spermatozoïde le plus rapide qui féconde l’ovule par un acte violent, et qui transmet ses gènes. Violence, bagarre, exclusion…
Or depuis les travaux en génétique et ceux sur la procréation assistée, découvertes confirmées par l’IRM, on sait que cela ne se passe pas ainsi. Ce n’est pas un acte violent qui est au départ de la vie d’un individu mais le choix de l’ovule !
Tous les spermatozoïdes se retrouvent autour de l’ovule pour dandiner du flagelle en attendant… en attendant que l’ovule en choisisse un. C’est l’ovule qui choisit ! Sur quels critères ? Il choisit le spermatozoïde porteur des gènes les plus différents des siens.
Mais l’histoire déjà très belle, ne s’arrête pas là ! Pour entrer dans l’ovule, il a besoin de l’aide de tous les autres spermatozoïdes : chacun libère une enzyme qui attaque la « coquille » de l’ovule. Ce n’est que grâce à cette association qu’il peut réussir à entrer dans l’ovule.
Et enfin, une fois le spermatozoïde entré dans l’ovule, celui-ci se met à le réparer, car il a été comme tout cabossé !
À l’origine de la vie, au cœur de l’identité, ce qui prime, ce n’est donc ni la compétition ni l’élimination, mais la différence, la coopération et le choix, la complémentarité ! L’arbre est dans la graine. La manière dont Dieu a pensé la conception nous en dit sans doute long sur ce qu’Il voulait pour les relations humaines.
Il est de notre responsabilité d’éradiquer les fausses croyances, particulièrement celles bibliques. C’est de notre responsabilité de prêcher la beauté du couple, de rappeler les limites inacceptables, et ce dès le temps de préparation au mariage avec les fiancés. C’est notre responsabilité de couper court à tout propos sexiste, dévalorisant envers les femmes, de rappeler en quoi les textes bibliques sont porteurs d’espérance, de bonne nouvelle pour les hommes comme pour les femmes. Que ces textes ne soient plus transmis comme source de culpabilité, de fausse culpabilité. Aidons chacun à retrouver la saveur de cette bonne nouvelle. L’Esprit de vie et de justice, de réconfort et de sagesse nous viendra en aide, mais sans nous dispenser de notre part.
Laissez-moi finir par la célèbre histoire du colibri, racontée par Pierre Rabhi.
Un jour, dit la légende, il y a un immense incendie de forêt qui se propage à grande vitesse de village en village, de forêt en forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observent impuissants le désastre. Ils courent, s’empressent, mais rapidement n’ont plus qu’une hâte : s’éloigner et se mettre à l’abri. Dans le ciel, un minuscule colibri s’affaire. Il vole de feuille en feuille, très haut, à la recherche de la moindre goutte d’eau. Dès qu’il en saisit une, au creux d’une feuille ou d’une souche, il la met dans son bec et va la projeter sur le feu. Et le manège recommence, le petit colibri s’affaire, toujours plus rapide et concentré sur sa tâche. Un des animaux qui l’aperçoit le rappelle à l’ordre : « Petit colibri, mais pourquoi t’affaires-tu ? Tu vois bien qu’à toi tout seul, tu n’éteindras pas le feu… »
Et le petit colibri répond : « Je sais, mais je fais ma part. »
[1]Nous ne pouvons être exhaustif, et même nous devrions citer aussi d’autres textes que pauliniens comme l’exhortation de Pierre aux maris à ne pas tirer avantage « du sexe faible » : ce passage pointe en fait que les hommes ont une force physique supérieure, et Pierre leur demande de ne pas en profiter : dans le couple ce ne sera pas la loi du plus fort qui règnera. Dans une société qui ne valorisait que cette loi du plus fort, Pierre presse ces maris de traiter leur femme avec respect, « car elle doit partager, au même titre que vous, l’héritage de la vie comme don de Dieu ». (1 Pi 3,7)
[2] Les citations bibliques sont extraites de la Bible « Nouvelle Français Courant », 2019.
« V.3 Cependant, je veux que vous compreniez ceci : le Christ est la tête de tout homme, le mari est la tête de sa femme, et Dieu est la tête du Christ. 4 Si donc un homme a la tête couverte lorsqu’il prie ou donne des messages reçus de la part de Dieu, il déshonore le Christ. 5 Mais si une femme est tête nue lorsqu’elle prie ou donne des messages reçus de la part de Dieu, elle déshonore son mari ; elle est comme une femme aux cheveux tondus. 6 Si une femme ne se couvre pas la tête, elle pourrait tout aussi bien se couper la chevelure ! Mais puisqu’il est honteux pour une femme de se couper les cheveux ou de les tondre, eh bien qu’elle se couvre la tête. 7 L’homme n’a pas besoin de se couvrir la tête, parce qu’il reflète l’image et la gloire de Dieu. Mais la femme reflète la gloire de l’homme ; 8 en effet, l’homme n’a pas été créé à partir de la femme, mais c’est la femme qui a été créée à partir de l’homme. 9 Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais c’est la femme qui a été créée pour l’homme. 10 C’est pourquoi, à cause des anges, la femme doit avoir sur la tête un signe marquant son autorité. 11 Cependant, dans notre vie avec le Seigneur, la femme n’est pas indépendante de l’homme et l’homme n’est pas indépendant de la femme. 12 Car de même que la femme a été créée à partir de l’homme, de même l’homme naît de la femme, et tout vient de Dieu. »
[3] Pour aller plus loin sur ce passage et les points non traités ici, notamment la question du voile : Cf Paul Meyer. Paul et les femmes, Faculté Adventiste de Collonges, 2013, p.61ss.
[4] Pour un développement sur le sens de kephalé, voir l’exégète évangélique G.D. Fee, The First Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans, 1973, p 501ss ; C.C Kroeger, « The classical concept of the head as source », in G. Hull, sous dir., Equal to serve, Revell, 1987, p. 267-283; B. et A. Mickelsen, “What does Kephalé mean in the NT?”, in A. Mickelsen sous dir., Women, Authority and the Bible, IVP, 1986, p. 97-110. Même pour ceux qui persistent à maintenir la traduction « chef » ou « tête », avec une notion d’autorité, on doit rappeler que « l’autorité des maris est désormais marquée par la manière du Christ lui-même d’être Seigneur, tête de son Église. Or, dans ce passage, très explicitement, l’autorité du Christ tient toute entière dans le don, suscité par l’amour, qu’il fait de lui-même. » Cf. Bettina Schaller in « Il y a subordination et subordination », CollectifUne Bible des femmes, Labor et Fides, 2018, p. 180-181.
[5] Gilbert Bilézikian. Hommes femmes pour une relation égalitaire, Grâce et Vérité, 2011, p. 187-188.
[6] « V.21 Soyez soumis les uns aux autres à cause du respect que vous avez pour le Christ, 22 vous les femmes à votre mari, comme vous l’êtes au Seigneur. 23 Car le mari est la tête de sa femme, comme le Christ est la tête de l’Église. Le Christ est en effet le sauveur de l’Église qui est son corps. 24 Comme l’Église se soumet au Christ, les femmes se soumettent en tout à leur mari. 25 Maris, aimez votre femme, tout comme le Christ a aimé l’Église et a donné sa vie pour elle. 26 Il a voulu ainsi que l’Église appartienne totalement à Dieu, après l’avoir purifiée par l’eau et par la parole ; 27 il a voulu se présenter à lui-même l’Église dans toute sa beauté, pure et sans défaut, sans tache ni ride ni aucune autre imperfection. 28 Les maris doivent donc aimer leur femme comme ils aiment leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. 29 En effet, personne n’a jamais haï son propre corps ; au contraire, on le nourrit et on en prend soin, comme le Christ le fait pour l’Église, 30 son corps, dont nous sommes membres. »
[7]Remarquons que Le même phénomène se produit au v.24 où le verbe upotassô est absent du grec, simplement sous-entendu mais présent dans la plupart des traductions (« les femmes se soumettent… »). Cela signifie que dans tout ce passage, Paul n’écrit jamais littéralement « femme soyez soumise à votre mari ».
[8] C’est la lecture notamment de Roland Meyer. Paul et les femmes, Faculté Adventiste de Collonges, 2013, p. 78.
[9] D’après une formulation de Bettina Schaller in « Il y a subordination et subordination », Collectif Une Bible des femmes, Labor et Fides, 2018, p. 185.
[10]Elisabeth Parmentier. Les filles prodigues ; Défis des théologies féministes, Labor et Fides 1998, p. 27.
[11] « v.1 Passons maintenant aux sujets dont vous m’avez parlé dans votre lettre. Vous dites qu’il est bon pour un homme de ne pas se marier. 2 Cependant, à cause des risques de débauche, il vaut mieux que chaque homme ait sa femme et que chaque femme ait son mari. 3 Que le mari remplisse son devoir d’époux envers sa femme et que la femme fasse de même envers son mari. 4 La femme ne peut pas faire ce qu’elle veut de son propre corps : son corps est à son mari ; de même, le mari ne peut pas faire ce qu’il veut de son propre corps : son corps est à sa femme. 5 Ne vous refusez pas l’un à l’autre, à moins que, d’un commun accord, vous n’agissiez ainsi momentanément pour prendre le temps de prier ; mais ensuite, reprenez votre vie conjugale, sinon vous risqueriez de ne plus vous maîtriser et de céder aux tentations de Satan. »
[12] On trouve déjà trace de cette symétrie dans un passage du Cantique des Cantiques (4,12 à 5,1) qui offre un regard très positif sur la sexualité et où est refusée clairement toute possibilité de contrainte en matière de sexualité : c’est d’ailleurs l’épouse qui invite son époux (4,16) avant l’acte sexuel (5,1).
[13] Notons le récent changement d’avis de l’influent théologien évangélique complémentariste Wayne Grudem sur ce passage. Après un réexamen du grec et l’écoute de nombreuses épouses victimes, il a décidé de ne plus réfuter la possibilité de divorcer en cas de violences conjugales et de ne plus enseigner que seuls deux cas rendaient possible un divorce. Il conclut ainsi sa nouvelle position : l’expression « dans un tel cas » d’1 Cor 7,15 signifie bien « tous les cas qui détruisent un mariage », y compris la violence domestique. Voir
[14] Mariage, Divorce, remariage. Commission théologique des C.A.E.F, Excelsis, 2004, p.24. Voir aussi Robert Somerville, « L’apôtre Paul et le divorce », in Edifac, 2001, p. 222-224.
[15] Déjà dans le Pentateuque, une loi envisageait la possibilité du divorce (Deut 24) même si dans ce texte, c’est à l’initiative de l’homme seulement et que la pointe de la loi concerne plutôt la suite, l’impossibilité pour le premier mari de reprendre cette femme si elle est devenue la femme d’un autre entre-temps.
[16] Il ne s’agit pas de faire l’apologie du mensonge, qui est condamné par les textes bibliques et a des conséquences (comme on le voit par exemple dans le cas d’Abraham avec Sara) mais de rappeler que les textes bibliques ne placent pas non plus la vérité au-dessus d’autres impératifs.