Ce qu’il faut savoir sur les violences conjugales

Jacques POUJOL

Cosette FÉBRISSY

Introduction(1)

Le changement du cadre sociétal

Les chiffres de la violence conjugale, rappelés en introduction de cet ouvrage, glacent d’effroi et retentissent comme un cri de détresse. Avant d’aborder ce sujet plus en détails, il est utile d’identifier les trois évolutions de notre société qui expliquent qu’on écoute (enfin !) davantage la parole des victimes, y compris les victimes de leur conjoint.

a. Les progrès de la médecine

Les générations précédentes étant dans la survie, elles n’avaient pas le temps de gérer certaines questions. Or les progrès de la médecine ont considérablement allongé l’espérance de vie (on gagne un mois de vie tous les trois mois d’existence !) et ont changé notre rapport à la souffrance. Aujourd’hui la douleur est considérée comme une intruse, inacceptable, et on aura plutôt tendance à vouloir trouver un coupable. Ainsi, jadis, si une piqûre était douloureuse, on reprochait à la personne piquée d’être douillette ; aujourd’hui on changerait d’infirmière. Jadis, si une femme mourait en couches, on mettait cela sur le compte de la dureté de la vie ; aujourd’hui, on porterait plainte contre les médecins ou l’hôpital.

b. La fin du patriarcat

Rappelons brièvement l’histoire du patriarcat. Avec l’augmentation des populations sédentarisées, on s’est mis à faire la guerre pour annexer d’autres territoires. On a réparti les rôles : les hommes (plus forts) partaient à la guerre et les femmes restaient à la maison. On a donné le pouvoir aux hommes ; on a légitimé la domination du chef de village, du chef de famille, leur donnant tous les droits. Le patriarcat a été la matrice de toutes les violences, en particulier au sein des couples. Ce fut sans doute la pire invention de l’humanité.
L’Église elle, a canonisé et légitimé ce patriarcat. Il en est résulté une société du devoir, de soumission au chef, au père, au mari. Même les relations intimes dans le couple sont devenues le « devoir conjugal » !

Depuis quelques décennies, ce patriarcat est de plus en plus remis en question en Occident : on refuse cette société du devoir pour aller vers une société de droit, les droits du sujet.

c. L’émergence d’un droit des victimes

Après la Seconde Guerre mondiale et ses crimes contre l’humanité, au procès de Nuremberg, pour la première fois dans l’Histoire, on a reconnu le statut de victime et le droit des victimes.

Les victimes ont à présent la parole, ce qui a pour effet de libérer la prise de parole, l’écoute des plus faibles, de ceux qu’on n’écoutait pas, jusqu’aux enfants. Il n’y a pas si longtemps, la société justifiait la pédocriminalité, sans se soucier du bien-être de l’enfant. Aujourd’hui les victimes devenues adultes osent demander réparation et compensation.

Ces mutations sont comme des mouvements de fond, des plaques tectoniques qui ébranlent la société ; ce n’est pas seulement une mode récente (metoo), même si l’affaire Weinstein a accéléré les choses.

Ajoutons un autre glissement sociétal très intéressant :

  • Autrefois, on légiférait surtout sur l’extérieur, sur ce qu’on montrait, ce qui paraissait ; il fallait donner le change dehors, peu importait ce qui se passait dans les maisons, l’État n’y intervenait pas.
  • Aujourd’hui, à l’extérieur, les gens font plutôt ce qu’ils veulent ; par contre, l’État se mêle de plus en plus de ce qui se passe dans les foyers : la maltraitance sur la partenaire, sur les enfants, les bébés…

Qu’est-ce que l’emprise ?

La violence conjugale commence par des insultes, continue par des gifles puis par des coups, et se termine souvent au service des urgences, parfois à la morgue.

Pour beaucoup, une femme qui subit des sévices « n’a qu’à partir ». C’est vrai ça, pourquoi ne part-elle pas ?

Ne disons plus jamais cela ! Si les choses étaient aussi simples, aucune d’entre elles ne resterait chez elle !

Cette femme « reste » parce qu’il la terrorise, qu’il la prive d’argent et l’a complètement isolée, parce qu’elle l’aime et patiente toujours, parce qu’il est le père de ses enfants.

Elle ne « reste » pas, elle y est contrainte ! Où aller, comment se protéger, où se loger ? Sa maison est certes l’endroit le plus dangereux au monde. Mais que pourrait-elle faire ?

En réalité, comprenons surtout qu’elle reste parce qu’elle est sous emprise psychologique.

 
En quoi consiste l’emprise psychologique ?
Son époux/partenaire l’a réduite à l’état d’objet, de marionnette entre ses mains. Elle est psychiquement aliénée, en état de sidération.
L’emprise est un rapport asymétrique toxique d’un dominant sur un dominé, c’est une effraction psychique, la prise de contrôle sur l’autre.
Une majorité de partenaires ayant recours à la violence sont également identifiés comme des pervers narcissiques. Nous renvoyons aux ouvrages de Hirigoyen et Neuburger pour mieux identifier cette problématique.Le pervers narcissique se sent au mieux lorsque sa victime va très mal ; il la dénigre, l’humilie et l’avilit dans le but de l’anéantir.
Toute sa communication est déviante. Selon Racamier, « l’instrument majeur de la perversion narcissique, c’est la parole ». Il n’exprime pas ses émotions, nie toujours ses erreurs, ment à merveille (aussi à lui-même) et n’éprouve aucun scrupule. C’est un calculateur cynique, froid et machiavélique.

Mettre sa conjointe sous emprise équivaut à prendre le pouvoir sur elle ; il use à cette fin de moyens efficaces(2), comme le chantage, le flou, la lecture de pensée, l’ambiguïté, l’incohérence, la double contrainte, l’indifférence, le silence, l’imprévisibilité, les menaces, etc.

1. Qu’est-ce que la violence conjugale ?

Définition

La violence conjugale se définit comme un processus au cours duquel un partenaire (relation maritale ou pas, ex-partenaire) exerce des comportements manipulateurs, agressifs et violents à l’encontre de l’autre. Il s’agit de lui faire mal intentionnellement, de lui causer un préjudice. Cette violence peut prendre différentes formes :