La tragédie des violences conjugales dans les milieux chrétiens : étude de textes bibliques

Valérie Duval-Poujol

Longtemps taboue, la violence conjugale existe depuis toujours, dans tous les milieux, y compris dans les Églises (toutes dénominations confondues !) où elle est excusée, légitimée par plusieurs au travers de lectures erronées de certains textes bibliques.

Des enseignements pseudo-bibliques sur la soumission de la femme (« l’homme est le chef de la femme », « soyez soumises ») renforcent le poids du silence et la difficulté pour des victimes de maltraitance conjugale de parler, d’oser dire « non » afin de faire cesser leur cauchemar quotidien. Avec cette compréhension abusive des Écritures, on enseigne à la femme chrétienne de rester soumise en toutes circonstances, encourageant le pardon infini (« l’amour excuse tout »), le renoncement (« porte ta croix », « la mort à soi »), l’acceptation de la violence par « le chef du couple, le chef du foyer », ce qui implique soumission à ses ordres, à ses interdits, à ses demandes, jusqu’au viol conjugal répété.

L’étude de textes bibliques clés sur la femme, le couple, depuis la Genèse jusqu’à Paul, permettra d’identifier et de réfuter un certain nombre de fausses croyances qui ont nourri un terreau culpabilisant pour les victimes d’agressions dans le couple. Ce travail d’exégèse est une étape doublement nécessaire :

– pour les victimes : quand elles veulent se reconstruire et avoir une autre compréhension de ces textes dont on s’est servi pour maintenir une emprise, les abuser. La Bible est porteuse d’une bonne nouvelle pour tous, elle l’est aussi pour les victimes : la Bible ne saurait en aucun cas être utilisée pour légitimer ces crimes.

– pour les victimes potentielles : il est impératif d’arrêter de cultiver dans certains milieux chrétiens un enseignement, une éducation pour les femmes de tout âge qui les rend vulnérables aux abuseurs, aux violents.

Nous verrons d’abord ce qui était prévu dans le cœur de Dieu à la Création, « au commencement » ; puis nous verrons les conséquences de la Chute avec l’irruption de la violence et la domination d’un genre sur l’autre ; la rédemption par l’œuvre du Christ, et comment cela se traduit dans de nouvelles relations hommes/femmes avec les textes de Paul. Nous passerons enfin en revue quelques textes et thèmes bibliques utilisés par certains (parfois même des pasteurs) pour légitimer la maltraitance conjugale. À travers ce parcours biblique, nous verrons par les textes eux-mêmes la dénonciation de cette dernière comme péché, sa radicale condamnation.

LA CRÉATION

Lorsqu’on interroge Jésus sur les relations entre hommes et femmes (et plus spécifiquement au sujet de la répudiation par un mari de sa femme), il répond : « N’avez-vous pas lu, au commencement » (Matt 19,4), manière de se référer à la Genèse comme fondement de toute réflexion sur le couple. Qu’est-il donc écrit « au commencement » dans les premiers chapitres de la Genèse ?

Le premier chapitre de la Genèse relate (1,27) que les deux, l’homme et la femme, sont créés « à l’image de Dieu, à sa ressemblance », deux mots quasi synonymes en hébreu. Le verbe employé pour « Dieu créa » (barah en hébreu) est réservé à Dieu et il apparaît quand il est nécessaire de passer une frontière, celle qui sépare le tohu-bohu de la vie (v.1), le végétal de l’animal (v.21), l’animal de l’humain (v.27). Mais ce verbe n’est pas présent entre l’homme et la femme. Dieu les place au même niveau, à la même dignité. 

Si pour les animaux il est répété « il les créa chacun selon son espèce », cette expression n’apparaît pas pour le genre humain. C’est à la fois l’homme et la femme qui sont créés à l’image de Dieu, à sa ressemblance. Cette ressemblance, longuement commentée par les théologiens de tous les siècles, implique l’égale dignité, l’égale valeur entre l’homme et la femme.

Et ce sont ces deux êtres, l’homme comme la femme, à qui Dieu confie la responsabilité de dominer et de gérer la terre. (1,27-28) Il n’y a pas encore de partage de rôles, d’attribution de tâches différentes, comme le feront les cultures mais une mission commune, une même autorité. Cette ressemblance fondamentale a une lourde conséquence :

« Alors qu’en Genèse 1, Dieu organise l’univers minutieusement autour d’une hiérarchie méticuleuse, il n’existe pas dans le texte biblique la plus petite indication d’une hiérarchie semblable entre Adam et Eve… nulle part dans le dessein divin il n’est dit que l’homme doit dominer sur la femme… pas le moindre indice, pas le moindre chuchotement à la Création, dans ce qui est prévu dans le cœur de Dieu quant à une hiérarchie d’autorité entre l’homme et la femme. »

Certes, le texte biblique fondateur de la Création souligne également des différences entre l’homme et la femme, mais jamais pour les comprendre comme mettant en place un être supérieur et l’autre inférieur.

La principale différence que pointe le texte biblique est sexuelle : « Dieu créa l’être humain à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa » (1,26-27).

« Mâle et femelle » sont des termes explicitement sexuels :

  • « Mâle » (en hébreu zarar) signifie « perforant, être tranchant, percer » et renvoie à l’homme qui pénètre la femme.
  • « Femelle » (nekevah) signifie « perforée » et renvoie au fait d’être pénétrée.

Dans la langue hébraïque, il est habituel, pour exprimer des choses abstraites, d’utiliser des termes très concrets. Ici dans la Genèse, le texte biblique, en utilisant des termes concrets sexués « mâle et femelle », pose que l’ensemble de la personne, du psychisme, va se vivre de façon différente pour un homme et pour une femme. Leurs émotions, leur rapport au monde, sont en lien avec cette dimension sexuée, mâle ou femelle. Avec ces termes, le texte pose une différence, de fait.

Il y a sans doute une autre raison pour laquelle le texte choisit ces termes sexués pour identifier l’être humain. Être humain, c’est être sexué, c’est-à-dire intégrer pleinement sa sexualité. Cette expression montre que la sexualité n’est ni un malheur, ni un mal, mais bien un don du Créateur.

Ce récit de la Genèse montre également que la différence est bénie de Dieu (« chacun selon son espèce », Dieu bénit les arbres, les êtres vivants), c’est même la toute première chose que Dieu bénit sur cette terre. Ce qui est valorisé dans le récit sur la Création et sur le couple, c’est ce qui est différent. Or maltraiter son conjoint, c’est justement vouloir le faire taire, qu’il n’existe pas comme Sujet autre, c’est dénier son identité. 

C‘est pourquoi la Bible propose pour le couple un modèle relationnel permettant l’acceptation de la différence, pour la vivre dans l’égalité en alter ego : l’alliance. L’alliance est un modèle de relation prometteur, et pas seulement pour le couple, car elle permet d’éviter qu’une des parties annexe l’autre, ou que la relation soit l’expression de la loi du plus fort, une dictature, la domination de l’un sur l’autre. L’alliance, « s’attacher l’un à l’autre », suppose des droits égaux, le respect réciproque et des responsabilités. Dans l’alliance, chacun reste à la fois lui-même, tout en étant en relation à l’autre. 

Même l’invitation à « devenir une seule chair » ne remet pas en cause cela. Notons d’abord que le terme « chair » n’est pas que sexuel, il désigne l’unité du couple dans toutes ses dimensions. Il s’agit d’une union sans confusion, assumant la diversité puisque le terme hébreu basar décrit une unité plurielle, composite. C’est la même unité que lorsqu’on dit qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que Dieu est « un », alors qu’il est trois personnes. 

Regardons en détail un verset de la Genèse qui explicite comment Dieu avait souhaité cette relation d’alliance pour le couple.

Le SEIGNEUR Dieu se dit : « Il n’est pas bon que l’être humain soit seul. Je vais lui faire un vis-à-vis qui lui corresponde, capable de le secourir. » (2,18)

La plupart des traductions modernes choisissent ici non pas « le vis-à-vis » mais « l’aide » que représente la femme pour l’homme. Mais de quelle aide s’agit-il ? Dans la langue française, c’est un mot fourre-tout, un peu faible. C’est malheureusement la mauvaise traduction des termes hébreux présents ici qui a conduit à comprendre le rôle de la femme comme une quasi esclave de l’homme, et à voir les rapports entre l’homme et la femme en termes de domination/soumission. 

Or les mots hébreux ne disent pas cela du tout. La Genèse dit que Dieu va faire à l’être humain un ezer kenegdo

Le premier mot, ezer décrit une collaboration lorsque la force d’une personne est insuffisante : on le traduit alors par « soutien, secours » et même salut. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle souvent quand ce mot est employé dans l’Ancien Testament, c’est Dieu qui en est le sujet. Lorsque Dieu est ezer, il n’est jamais une simple « aide », mais bien un « secours » ! Or c’est bien ezer qui est présent pour décrire ce que la femme est pour l’homme (et réciproquement) : celui-ci avait besoin d’être secouru du risque de l’entre-soi, de la toute-puissance.

Le second mot est capital aussi : cette aide est qualifiée de kenegdo, une expression rare, littéralement « comme en face de lui », « lui correspondant ».

Deux significations importantes de cette expression :

  • Elle vient du verbe nagad « communiquer par la parole, dire, annoncer, raconter ». La femme et l’homme seront l’un pour l’autre un soutien ; et la façon d’être un vis-à-vis, de se correspondre, sera leur parole qui les aidera à se construire.
  • Mais ce face-à-face peut aussi être compris comme un « front à front », et comporter une dimension de résistance, presque frontale.

Cela veut dire que dès le départ, Dieu prévoit que l’un des moyens pour l’homme et la femme de se construire, de s’épanouir sera le front à front, le conflit. A eux de savoir si cette résistance sera productive ou destructrice. Dans la Genèse, le conflit (et non la guerre qui est un conflit mal géré) permet la rencontre de deux Sujets, front à front qui entraîne des heurts : des bon-heurts ou des mal-heurts, des bonheurs ou des malheurs.

Distinguons bien d’une part ce conflit positif, constructif, qui se résout par la négociation, et d’autre part la violence masculine, qui est une position asymétrique brutale de domination.

Relevons également qu’après avoir dit à Adam qu’il va lui présenter un ezer kenegdo, Dieu créa les animaux. Mais l’être humain « ne trouva pas parmi eux de vis-à-vis qui lui corresponde, capable de le secourir » (2,20). Dieu a commencé par les animaux afin que l’être humain reconnaisse que l’animal n’est pas son vis-à-vis, et même il doit s’en distinguer. Comme le dit Paul Beauchamp, « nous n’advenons à la qualité d’humain qu’en nous déprenant de l’animalité qui est en nous. Et c’est seulement quand l’homme se sera “déconfondu” de son animalité qu’il pourra faire face à l’autre de la même sorte, la femme ». Dans la maltraitance masculine, on retrouve cette animalité, cette brutalité quasi bestiale, notamment parce que l’homme refuse de voir l’altérité de l’autre, sa partenaire comme pleinement Sujet : il la chosifie, il l’instrumentalise. 

Bref, dès les récits des origines, la Bible propose aux conjoints comme modèle de « s’attacher l’un à l’autre », par une alliance qui implique des engagements et aussi les mêmes droits.

Toutefois, Genèse 3 va bouleverser ce programme.

LA DOMINATION D’UN GENRE SUR L’AUTRE : GENÈSE 3

Avec la désobéissance des premiers humains, et surtout leur tentation d’être comme des dieux, une profonde discordance au sein de la Création et de l’humanité se produit. L’homme et la femme ont toujours les mêmes mandats, la même vocation, mais désormais, le travail est devenu pénible, la protection s’est transformée en oppression, et la jouissance en excès ou en famine.

Cela signifie une réalité capitale pour les relations homme/femme aujourd’hui : la domination d’un sexe sur l’autre n’était pas le désir de Dieu au commencement, mais c’est la conséquence du péché. Lorsque Dieu après la Chute dit à l’homme : « Tu domineras sur la femme » (3,16), Dieu ne maudit pas celle-ci, il décrit à l’avance ce qui se passera désormais. Il sait que la nature déchue de l’homme l’inclinera à exercer une emprise abusive sur son épouse. Cette formule n’est pas à comprendre comme un ordre divin. La souffrance de l’enfantement et la domination de l’homme sur sa conjointe ne sont pas des impératifs ordonnés par Dieu. Le texte biblique montre que, comme conséquence du péché, Ève ira à la rencontre de son mari, et au lieu d’une relation de communion, elle trouvera un rapport de force, une confrontation. Et ce rapport de force ne se limite pas au couple, il s’étend aux autres relations dans la société.

Dieu avait prévu l’altérité, il voulait que l’homme et la femme soient un ezer kenegdo, un alter ego l’un pour l’autre, mais la différence sera désormais vécue dans la confrontation qui aura pour résultat la domination masculine.

De fait, de nombreux récits bibliques illustrent, comme conséquence du péché, cette domination masculine sur la femme, le caractère tyrannique du système patriarcal, la situation vulnérable des femmes. Pensez aux textes évoquant des agressions sexuelles, par un membre de la famille (Tamar par son demi-frère, en 2 Sam 13) ou par des inconnus (Dina en Gen 34). Même si certaines lois protègent la veuve et la femme en certaines circonstances, d’autres consolident ce statut inférieur : dans le Décalogue, l’épouse fait partie des possessions de son mari (Ex 20,17) et le mot qui désigne le « mari » dans l’Ancien Testament, baal, s’applique aussi au maître, au propriétaire. La femme est toujours considérée sous l’autorité d’un homme (le père ou le mari), ce dernier peut même annuler les vœux qu’elle prononce (Nomb 30,7-15) ; quant au divorce, il a seul le droit d’en prendre l’initiative. 

Dès le début de la Bible apparaît la polygamie (Lémek en Gen 4,19), qui entraîne beaucoup de violence quotidienne pour les différentes épouses. D’ailleurs à ce moment disparaît tout nom personnel de femme dans les généalogies (sauf comme « l’épouse de… »). 

Les générations suivantes sont émaillées de couples où l’homme fait preuve de violence, en particulier sexuelle : Abraham vend sa femme Sarah à Pharaon qui abuse d’elle (Gen 12) ; le même Abraham renvoie dans le désert sa servante Hagar qu’il a mise enceinte, pour qu’elle y meure (Gen 16 et 21) ; la femme philistine de Samson (bien avant Dalila) est donnée comme une vulgaire marchandise au garçon d’honneur de Samson, puis est brûlée vive par les Philistins, son propre peuple, afin de se venger de Samson (Jug 15,6). Mikal, fille de Saül, aima David, mais l’inverse n’est jamais précisé. Elle fut en fait instrumentalisée toute sa vie : donnée en mariage par calcul de son père ; épousée par David parce qu’il voulait être le gendre du roi ; donnée à un autre homme par vengeance, puis reprise par David sans ménagement (en fait réintégrée au harem royal) des années plus tard, quand il veut monter sur le trône. 

Un récit illustre quel paroxysme la brutalité masculine peut atteindre. C’est la terrible histoire de l’épouse de second rang d’un lévite, qu’on appelle aussi sa « concubine », sans doute une esclave que cet homme a achetée (Jug 19). Elle le quitte car elle s’est fâchée contre lui, sans que le texte ne précise le motif, mais suffisamment grave (violence domestique ?) pour qu’elle désire retourner vivre chez son père. Quatre mois plus tard, le lévite part chez son beau-père pour la ramener (sous son emprise ?). Or, sur le chemin du retour (pour rentrer « chez moi », précise-t-il, et non « chez nous »), alors qu’ils sont hébergés par un vieil homme, ce lévite la donne à une bande de voyous pour sauver sa peau : elle est violée toute la nuit par ces étrangers. Dans un dernier souffle de vie, la femme vient s’effondrer sur le seuil de la maison où son époux passait la nuit. Le matin venu, il la découvre gisante, les mains sur le seuil de la porte, comme un ultime appel à l’aide ; mais il n’a pas un mot de compassion, pas un geste à son égard : il lui demande de se relever. Son épouse ne répond pas, elle est morte… Il la découpe en douze morceaux, un pour chaque tribu d’Israël, afin de demander justice. Le lévite finit par être vengé, sans que cela ramène à la vie son épouse, cette femme restée anonyme, sans que justice lui soit rendue, à elle. « Et le vent emporta son nom comme il avait dispersé son corps, sans sépulture, sans tendresse et sans pardon. » Une des conséquences de cet épisode sera que les hommes de la tribu de Benjamin (punis pour leur comportement envers le lévite), manquant de femmes, reçoivent l’autorisation de kidnapper et d’épouser par la force des jeunes filles vierges venant au temple de Silo à l’occasion d’une fête du Seigneur (Jug 21,19-23). N’imaginons pas pour ces jeunes filles une nuit de noces romantique, mais bien plus un viol par leur époux.

Tous ces récits sordides sont comme l’écho du cri de toutes ces femmes, nos sœurs, qui à travers l’Histoire ont subi à des degrés divers cette maltraitance mortelle.

On pourrait s’étonner que la Bible ne relate pas davantage de récits similaires. Mais rendons-nous compte que la société tout entière maltraitait les femmes. Cette maltraitance était une norme intégrée ; une réalité certes condamnée, vue comme conséquence de la Chute, mais banalisée. Elle existe en filigrane de toutes les histoires de la Bible qui impliquent des femmes, sans que le texte ne l’explicite. Même lorsqu’un conjoint se montre tendre, aimant, le texte le souligne justement parce que c’est une exception et/ou que cela est tout de même accompagné d’un environnement oppressant. C’est le cas des parents du prophète Samuel : Elcana « aimait beaucoup Anne », et se montrait prévenant avec elle, mais cette tendresse était accompagnée de moqueries et de vexations de la part de Pénina, son autre épouse (1 Sam 1). Jacob « aimait Rachel » mais il vécut avec sa sœur Léa, et eut des enfants avec elle ; il fit de même avec des servantes, tout cela en même temps. 

Ces textes bibliques qui décrivent avec tant de réalisme la domination masculine, ces « textes de terreur », rejoignent les victimes de notre époque au cœur de leur réalité douloureuse. Elles voient qu’il n’y a « rien de nouveau sous le soleil… », que le mal existe, qu’il faut le nommer, le dénoncer, le considérer comme une conséquence de la Chute, un péché condamnable. Mais elles voient aussi que ce mal n’aura pas le dernier mot : en effet l’ensemble des Écritures enseigne que le Dieu de justice n’abandonne pas les femmes à cette oppression. Il est intervenu pour que celle-ci soit vaincue et pour prendre le parti des victimes, afin de manifester le « soleil de justice qui porte en ses rayons la guérison ». (Mal 3,20) 

LA REDEMPTION PAR L’ŒUVRE DU CHRIST

Même s’il fallut attendre la venue de Jésus Christ pour que se manifeste cette justice, le début de la Genèse livre déjà une graine d’espérance. En Genèse 3,15 Dieu annonce qu’un jour le mal sera vaincu par la descendance d’Ève, qui écrasera la tête du serpent. Ce signe d’espoir annonce la venue du Christ, vainqueur du mal et qui permet la réconciliation à la fois entre l’humanité et Dieu, et entre les hommes et les femmes… Au point que l’amour qui unit deux conjoints devient une métaphore dans les épîtres pour décrire la relation d’amour entre le Christ et l’Église.

Cette réconciliation au sein même de l’humanité est résumée dans la célèbre formule de Paul (Gal 3,28), à propos de l’union au Christ : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. » Littéralement en grec Paul dit : « Il n’y a plus ni mâle ni femelle », reprenant exactement les termes de Genèse 1,27. Il explique ainsi qu’en Christ, l’homme comme la femme sont identifiés, au-delà même de leur différenciation sexuelle, à leur commune identité d’image de Dieu. Quelle belle façon paulinienne de rappeler l’égalité homme-femme dans la rédemption !

Pour le bibliste Pierre Debergé, « si l’humanité ancienne, soumise à la domination du péché était scindée en groupes antagonistes, l’humanité sauvée se caractérise par une parfaite égalité de droits entre les hommes et les femmes. Par son sang versé à la croix, le Christ a en effet mis fin à la rupture originelle qui avait abouti à la domination de l’homme sur la femme. »

De fait, dans le Nouveau Testament, l’attitude de Jésus envers les femmes est admirable. Il les considère, les traite sur un pied d’égalité, avec respect et dignité. Il rejette la pratique de la répudiation pour « n’importe quel motif » (Matt 19,3-9), s’opposant ainsi à des décisions arbitraires et unilatérales, ce qui replace l’intention originelle du Créateur au cœur de la réflexion. Il fustige les regards trop explicites (Matt 5,28), imputant le péché à celui qui regarde et non à celle qui est regardée. Il refuse la violence gratuite. S’il enseigne de « tendre l’autre joue » en certaines circonstances, il a aussi lui-même refusé d’être frappé injustement lors de son procès (Jean 18,23).

Comme le résume Ruth Bonsirven, « le Christ a bien inauguré une ère nouvelle pour les femmes. Non pas parce qu’il était féministe avant l’heure ou par amour particulier pour les femmes, mais parce que c’est véritablement une nouvelle création qu’il a incarnée, annoncée et réalisée le matin de Pâques. Cette nouvelle création est celle d’un ordre nouveau, où les relations ne sont définitivement plus déterminées par des structures sociales, un statut, une appartenance, un genre, mais par une vocation commune, celle d’enfant de Dieu. »

Jésus revient au désir créationnel de Dieu tel qu’il est présenté en Genèse 1 et 2. Ses gestes et ses paroles s’enracinent dans la volonté de son Père. Jésus abroge les structures hiérarchiques abusives de son époque, héritées depuis Genèse 3, car il les voit comme des conséquences de la Chute et non comme le dessein originel de Dieu. Son enseignement délégitime tout recours aux Écritures pour justifier la domination masculine.

En outre, Jésus nous montre en Matthieu 5,21-22 qu’il y a différentes façons de tuer le principe de vie chez son prochain, et pas uniquement l’assassinat : les insultes, les actes de violence ou le mépris, l’arme du conjoint maltraitant plaçant sa partenaire sous emprise, sont ainsi dénoncés. L’interprétation par Jésus de l’interdit du meurtre montre qu’il ne s’agit pas que d’ôter la vie physique. C’est bien plus étendu, et rejoint les lois sur les agressions sexuelles (Deut 22,26ss) : l’abuseur est condamné car son agression est comparée au fait d’ôter la vie d’une personne. Le viol est assimilé à un assassinat, car l’agresseur porte atteinte à la vie de la victime (vie somatique, vie psychique, vie sociale, vie rêvée,…). De même la maltraitance conjugale est une façon de tuer sa partenaire, en lui ôtant peu à peu tout élan de vie, jusqu’à parfois un passage à l’acte final qui lui ôte définitivement la vie. Mais il est intéressant de voir que Jésus dénonce aussi les agressions psychologiques qui ont précédé et qui accompagnent les agressions physiques.

Ajoutons que les Évangiles rapportent comment Jésus lui-même a connu les abus, les violences et les agressions : d’abord celle de la trahison par ses proches (Judas, Pierre), puis celle des coups et des moqueries alors qu’il est nu, dans la cour du prétoire, devant toute une garnison de soldats (Matt 27,27ss). Ce récit douloureux nous rappelle que notre Seigneur est compatissant, non pas en théorie mais parce qu’il a aussi vécu les abus dans sa propre chair. Il comprend ce que les femmes et les enfants violentés subissent. Il est Dieu Emmanuel, présent à leurs côtés. Cela n’explique évidemment pas le pourquoi de telles tragédies, parce que le mal ne s’explique pas, il se combat. Jésus lui-même n’a pas fait de grands discours sur le mal, la souffrance, il n’a rien expliqué mais il s’est impliqué pour les vaincre, afin qu’ils n’aient plus le dernier mot. Et quelle implication ! Sa mort à la croix, puis sa résurrection, ont ôté à la mort son aiguillon, offrant la réconciliation, le réconfort et la justice.