Peut-on parler de violences faites aux femmes en Église ?

Paul EFONA

Chers frères et sœurs en Christ,

Je saisis l’occasion de votre invitation pour aborder, en cette Journée internationale des droits des femmes, un sujet trop longtemps resté sous cloche dans nos Églises, à savoir les violences faites aux femmes, en particulier dans le cadre du couple.

En France, tous les deux ou trois jours (en moyenne), une femme est tuée par son conjoint ou son ex-conjoint. D’après l’Observatoire national des violences faites aux femmes, en 2018(1) :

  • 213.000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année ;
  • 121 femmes ont été tuées par leur partenaire (ou ex-), soit une femme tous les 3 jours.

Sur les 121 femmes tuées par leur partenaire (ou ex-), 47 (soit 39 %) avaient subi antérieurement au moins une forme de violence.

En 2019, hélas, la prévalence de ces violences est en hausse, entre 123 et 149 cas de féminicides, de femmes tuées parce que femmes. Si ces chiffres sont par eux-mêmes déjà insupportables, la réalité encore plus effroyable (mais il faut la dire), c’est qu’ils ne rendent compte que de manière partielle des situations diverses de violences subies par les femmes, au quotidien, dans la sphère publique comme privée : discriminations sexistes, harcèlement, humiliations, privations, viols, mutilations, féminicides…

Ces faits de maltraitance touchent tous les milieux, y compris nos Églises. Aussi, dans le cadre de notre Fédération d’Églises, un comité de réflexion formé depuis deux ans, travaille à la production d’outils de réflexion et de prévention à destination des Églises locales et de leurs responsables. Dans ce cadre, nous avons participé à la publication d’une brochure Ensemble contre les violences conjugales, les identifier pour mieux agir dans les Églises(2) qui inclut une Charte d’engagement contre les violences conjugales. Cela permet à nos Églises qui la signent de prendre clairement position, en adoptant les déclarations de cette Charte par laquelle nous affirmons, entre autres, « que la violence conjugale dans toutes ses formes est inadmissible, injustifiable et irréconciliable avec la foi chrétienne ».

Cela suppose une certaine conversion des mentalités, des discours, et même des pratiques, qui prospèrent encore dans nos milieux, sur le terreau d’une lecture de la Bible souvent décontextualisée et peu distanciée. Ce qui fait que celle-ci peine à trouver un juste rapport entre, d’une part, l’évolution contemporaine de notre société occidentale et, d’autre part, l’arrière-plan des récits culturellement marqués par la puissance masculine, au détriment des femmes et de leurs droits fondamentaux.

On ne peut comprendre la structure des violences faites aux femmes si l’on se refuse à voir que :

« La violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation(3). »

La Bible ne manque pas de récits mettant en scène ces violences. Certains textes ont même été qualifiés de « textes de terreur(4) », et ont quasiment disparu de l’espace de nos prédications. Aussi, peut-être suis-je téméraire ce matin, en vous invitant à relire l’un de ces récits situé dans l’épilogue du livre des Juges. Ce récit couvre les chapitres 19 à 21 du livre des Juges. Je me limiterai au chapitre 19 que je vous invite à lire.

1. Préliminaire : Il n’y avait pas de roi… chacun agissait comme il lui semblait bon

J’attire d’emblée votre attention sur la notice introductive :

« À cette époque il n’y avait pas de roi en Israël » (Jg 19.1), qui se retrouve également (complétée) en conclusion du livre des Juges : « À cette époque, il n’y avait pas de roi en Israël et chacun agissait comme il lui semblait bon(5). »

Sans entrer dans les questions ardues de datation, soulignons…