Regard d’un pasteur sur les violences conjugales

Fabien LLINARES

Tout pasteur est appelé, au cours de son ministère, à faire face à des situations de violences conjugales. Nous avons demandé à Fabien Llinares, ancien travailleur social au Havre, actuellement pasteur à l’Église évangélique baptiste de Poitiers, de nous faire part de son expérience et de ses réflexions.

Dirais-tu que le problème des violences conjugales a été bien pris en compte par les Églises ?

Non, je ne le pense pas. Et pourtant, le pire ennemi à ce sujet est le déni dont nous faisons preuve dans bon nombre de nos communautés mais aussi, et c’est plus inquiétant, dans nombre de nos approches pastorales. Un peu comme si le monde et ses affres s’étaient arrêtés à la porte de nos Églises. Je crois que c’est en partie dû à trois facteurs.

D’abord, notre vision du monde. Celle-ci est sous-tendue par des messages/enseignements qui prônent la propre justice. Je m’explique : à force de parler de sanctification et de fermeté face au péché – ce qui n’est pas mal en soi, si l’on prêche aussi le fait que nous sommes chrétiens et pécheurs, et si l’on prêche aussi la grâce de Dieu – j’ai le sentiment que nous avons développé une forme de dichotomie : les saints d’un côté et les païens de l’autre. Les bons et les méchants en quelque sorte. Il me semble que dans certaines assemblées, et pour une grande partie de nos paroissiens, nous avons développé la croyance erronée que le mal, c’est forcément le monde et donc qu’il n’est pas dans « l’Église ». Je constate notamment cela dans les communautés où une sorte de christianisme légaliste s’est développée. Je le dis avec d’autant plus d’humilité que j’ai longtemps fait partie de ces personnes influencées par une lecture légaliste de la Parole de Dieu.

Le second facteur est à première vue social, mais il permet de camoufler une conception théologique de l’homme et de la femme. Depuis bien des années, la question de la place de la femme dans l’Église secoue nos assemblées. Je me souviens, lorsque j’étais adolescent, que les femmes missionnaires n’avaient pas le droit de parler de l’œuvre dans laquelle elles travaillaient. Lors de leurs visites missionnaires, un ancien parlait pour elles, et elles… passaient les diapos en silence ! Cela en dit long sur la perception de la femme dans nos Églises à cette époque ! Il nous est même arrivé de faire pire encore : je me rappelle avoir entendu dans ma jeunesse des prédications dont je perçois aujourd’hui la violence. En invoquant le fameux texte de Paul : « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur… », on insistait, du haut de la chaire, sur le fait que l’homme étant chef de la femme (au sens de patron, donneur d’ordres !), celle-ci doit lui être soumise ; mais on oubliait totalement la suite du passage où Paul demande au mari d’aimer sa femme en prenant l’exemple du Christ ! Certains ont même pu encourager « le viol conjugal », en s’appuyant sur des textes comme 1 Corinthiens 7.4a, « Ce n’est pas la femme qui a autorité sur son propre corps, c’est son mari », et en omettant, là encore, de rappeler la suite du texte qui affirme exactement la réciproque !

Le troisième facteur touche à notre conception sacralisée du mariage. Nombreux sont celles et ceux qui