Un article témoignage de Stéphane Guillet, pasteur FEEBF à Argenteuil

En 1997, mon épouse Nathalie, nos trois enfants et moi-même, avons dû quitter la Centrafrique où nous vivions depuis huit ans. De riches années de ministère que nous devions abandonner à cause des circonstances politiques difficiles et de l’insécurité grandissante que nous ne voulions pas imposer à nos enfants. J’ai vécu ce départ comme un véritable arrachement. Comme si une volonté extérieure s’imposait à moi et m’obligeait à choisir un chemin que je ne voulais pas.

Je me rappelle qu’une strophe du cantique, Confie à Dieu ta route (Nos cœurs te chantent 279), m’a accompagné pendant plusieurs mois pour m’aider à gérer mon amertume :

            Tout chemin qu’on t’impose peut devenir le sien ;

            Chaque jour il dispose de quelque autre moyen ;

            Il vient, tout est lumière ; il dit, tout est bienfait ;

            Nul ne met de barrière à ce que sa main fait.

Je devais me résoudre à emprunter un chemin que je n’avais pas choisi. Cette expérience m’a rendu attentif aux personnes qui s’engagent dans un service en disant : « Il faut bien que quelqu’un le fasse ! »

J’ai été touché lorsque, sollicitant une personne pour remplacer une monitrice d’école du dimanche qui devait arrêter, il m’a été répondu : « Je ne suis pas certain que ce soit mon don ; mais je veux bien essayer». Je trouve que ce type de réponse exprime un vrai esprit de service. Ne nous arrive-t-il pas d’accomplir des tâches que nous n’avons pas envie de faire ? Et si c’était quelque fois le Seigneur qui nous le demandait ?

Servir Dieu ou se servir de Dieu ?

Le livre de Jonas nous raconte ce type d’expérience. L’esprit de service n’était pas naturel chez ce prophète. Mais son parcours chaotique lui apprend à devenir serviteur. Et cet apprentissage nous enseigne.

Comme nous tous, Jonas voulait servir Dieu. Un jour, Dieu lui confie une mission : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et fais une proclamation contre elle, car le mal qu’elle a fait est monté jusqu’à moi. Alors Jonas se leva… » (Jonas 1.2). Comme Abraham ou Esaïe, Jonas se lève quand Dieu l’appelle. Mais le texte poursuit : « Alors Jonas se leva… pour fuir vers Tarsis, loin de la face du Seigneur ». Pourquoi une telle fuite ? Jonas ne discute même pas, comme l’avaient fait Moïse et Jérémie. Non. Il se lève… pour fuir. Et pas n’importe où, à Tarsis.

On ne sait pas avec certitude où se trouve Tarsis. Mais ce qu’on sait, c’est qu’à l’époque, cette ville représentait la destination paradisiaque par excellence. Voici ce qu’en dit J.A. Thompson dans le Grand Dictionnaire de la Bible (Excelsis, p 1619) : « Tarsis, quelle que soit sa localisation originelle, était devenue dans la littérature et l’imagination populaire un paradis lointain duquel pouvaient être acheminés vers Israël et la Phénicie toutes sortes de produits de luxe. » C’était la Tahiti de l’époque ! C’est comme si Jonas disait : « Je veux bien te servir, Seigneur, mais là où il y a du soleil, pas là où il pleut tout le temps ! À mes conditions et pas aux tiennes ! »

L’esprit du service

Mais c’est à Ninive que Dieu avait besoin d’un prophète. Pas à Tarsis. Pourquoi Ninive ? Parce qu’il y avait là un peuple qui s’égarait dans le péché. Il fallait que quelqu’un l’avertisse. Dieu ne voulait pas le juger sans qu’un prophète ait parlé. Peut-être les habitants de Ninive changeraient-ils d’attitude, et le jugement leur serait épargné ?

Mais Jonas rêve d’une destination plus exotique. Il ne comprend pas que pour Dieu, avertir les Ninivites est de première importance. Bien plus important qu’un ministère à Tarsis. Jonas n’avait pas encore acquis l’esprit du service. Il était d’accord pour servir, mais pas pour obéir ! Or, entrer au service de Dieu implique d’accepter ses priorités. L’esprit de service nait de cette prise de conscience : si c’est important pour le Seigneur, alors ça devient important pour moi. En matière de service, Jésus est notre suprême exemple. A Gethsémané, il a dit : « Non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux » (Matthieu 26.39).

Il y a plusieurs années, j’ai entendu quelqu’un dire : « J’ai tellement horreur de faire telle activité que je suis sûr que c’est ce que le Seigneur va me demander ! » Evidemment, cette attitude n’est pas juste. Elle relève d’une sorte de masochisme spirituel. Mais on doit se demander si aujourd’hui nous ne tombons pas dans l’extrême inverse : « Je veux bien te servir, Seigneur, mais seulement si ça contribue à mon épanouissement ». Ce raisonnement n’est pas bon non plus. L’esprit de service me pousse quelquefois à accepter de faire des choses que je n’ai pas envie de faire, simplement parce que je suis convaincu que c’est important pour Dieu. Servir Dieu, c’est vraiment servir Dieu. Ce n’est pas me servir de Dieu pour réaliser mes ambitions.

Le roi est mort, vive le serviteur !

Nous connaissons la suite du récit. Dieu lance sur la mer un vent violent qui déclenche une grosse tempête. En réponse les marins lancent leur cargaison à la mer. Ils se débarrassent du superflu, espérant ainsi sauver leur vie. Concevaient-ils ce geste comme une sorte d’offrande à ajouter à leurs prières : à la divinité courroucée qui avait lancé un grand vent, ils devaient lancer toutes leurs richesses ? Quoiqu’il en soit, ils se débarrassent du superflu, et seulement du superflu. Ce que Dieu attend de Jonas est beaucoup plus radical. Pour suivre Dieu, il ne suffit pas de jeter quelques affaires personnelles, il faut se jeter soi-même à l’eau ! Jonas le comprend (1.12) et les marins finissent par le jeter à l’eau.

C’était une mort assurée. De fait, Jonas doit bien passer par une forme de mort. Il ne lui suffit pas de se débarrasser de ses bagages, il doit se débarrasser de lui-même, de ce moi égocentré et envahissant. Il doit faire mourir ce moi-souverain qui règne sur ses ambitions et l’empêche de servir Dieu. En jetant Jonas à l’eau, c’est comme si les marins le baptisaient, par immersion complète ! En effet, le baptême n’est-il pas cet acte par lequel nous confessons que, en Christ mort pour nos péchés, nous acceptons de faire mourir notre moi-pécheur afin de vivre pour Dieu ? L’apôtre Paul le dit « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la puissance glorieuse de Dieu, nous marchions nous aussi en nouveauté de vie » (Romains 6.3-4). Le résultat est donné un peu plus loin : « Considérez-vous comme morts pour le péché et comme vivants pour Dieu dans l’union avec Jésus-Christ » (Romains 6.11). Un certain Jonas devait mourir afin de laisser vivre un nouveau Jonas ! Voilà le sens de son plongeon !

La prière qui nous fait serviteurs

Dieu ne traine pas. D’abord il envoie une grosse tempête, puis il dépêche un gros poisson. Cette étape dans le ventre du poisson est cruciale pour trouver le chemin de Ninive.

Que fait Jonas dans cet antre obscur ? Il prie. Le texte donne d’ailleurs le sentiment qu’il ne fait que cela. A peine avalé, il prie. A peine finie la prière, il est rejeté sur la plage. Dans le ventre du poisson, Jonas devient un homme de prière. Jusqu’à présent, il ne l’était pas. Dans le bateau, pendant que les marins priaient, lui il dormait (1.5). Et lorsque le capitaine lui demande de prier, rien ne précise qu’il le fit. Avant le ventre du poisson, la prière, ce n’était pas le truc de Jonas. Mais tout change dans ce lieu secret.

Ce ventre du poisson me rappelle une parole de Jésus en Matthieu 6.6 : « Toi, quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra ». Jonas ne pouvait pas pénétrer lieu plus secret ! Dans ce lieu secret, il prie. Et la prière le transforme. Elle le fait devenir serviteur. Relevons quelques détails de cette prière :

– « De ma détresse, j’ai invoqué le Seigneur, et il m’a répondu… C’est au Seigneur qu’appartient le salut » (2.3 et 10). Dans le ventre du poisson, Jonas rencontre Dieu, sa foi au Dieu-Sauveur est renouvelée. De même, la prière dans le lieu secret suscite et soutient la foi au moyen de laquelle nous sommes sauvés.

– « Je suis chassé loin de tes yeux ! Mais je verrai encore ton temple » (2.5). Le moins qu’on puisse dire, c’est que Jonas ne baisse pas les bras. De là où il se trouve, il croit qu’il verra encore le temple ! Quelle ténacité. La prière dans le lieu secret soutient la persévérance.

– « Alors que je défaillais, je me suis souvenu du Seigneur, et ma prière est parvenue jusqu’à toi » (2.8). Au moment de s’évanouir (traduction possible du début du verset), Jonas se souvient du Seigneur. Un peu comme un dernier soupir que Dieu reçoit comme une vraie prière. Un soupir qui me rappelle le soupir de l’Esprit intercédant pour nous (Romains 8.26-27). Dans ce soupir-prière du lieu secret, le Saint Esprit pallie notre faiblesse et fait de notre prière insuffisante, une intercession puissante devant le Seigneur.

– « Ceux qui s’attachent à des futilités illusoires éloignent d’eux la fidélité » (2.9). Jonas réalise que s’il poursuit son rêve illusoire, il abandonne la fidélité. La prière dans le lieu secret renouvelle l’intelligence, permet de comprendre la volonté de Dieu et de l’accepter par la foi.

En sortant du lieu secret, Jonas est un autre homme. Il n’est pas encore un serviteur parfait (la suite le montrera !) mais il sait que Dieu l’a sauvé pour servir. Il acceptera désormais d’aller à Ninive.

Avec un peu plus de vingt ans de recul, je suis convaincu que le chemin qui me fut imposé en 1997 était ma route de Ninive, le chemin où Dieu m’appelait. Je ne l’aurais pas choisi moi-même (je ne fréquentais peut-être pas suffisamment le lieu secret), mais Dieu m’y appelait. Et, à tout compter, il m’a permis d’y vivre des choses extraordinaires que je n’aurais jamais vécues en poursuivant un rêve illusoire !